En avant propos
D’où je parle, ni expert, pas davantage militant, juste un « gens ordinaire » parmi d’autres, je n’ai jamais regardé « au-dessus » mais autour, j’ai davantage de doutes que de certitudes
Qu’entendons-nous par décroissance ?
En préambule :
– Ce n’est pas ce nouvel oxymore que le système actuel met en place via le « Grenelle de l’environnement » et autres balivernes de développement durable (DD) ou de capitalisme vert
– L’idée de décroissance est portée par toute une nébuleuse de gens qui se disent décroissants, objecteurs de croissance ou encore qui prônent la désaccoutumance à la croissance,…
– Ce n’est pas davantage une mode à l’usage de bobos en mal de sensations, l’idée vient de loin, c’est à un véritable « barrage » qu’elle se heurte depuis des années… Elle ne prétend pas être tout et elle a conscience de faire dissensus, raisons supplémentaires pour s’inviter aujourd’hui au débat contradictoire
– La décroissance ce n’est pas non plus une affaire individuelle (fermer le robinet lorsqu’on se brosse les dents !, même si ça ne peut pas faire de mal et limiter le gaspillage), ce n’est pas davantage comme trop souvent on l’entend pour clore le débat… le retour à l’âge des cavernes
C’est une autre façon de vivre, d’être au quotidien, individuellement et une autre façon de faire collectivement pour sortir de ce système capitaliste
Pourquoi s’y intéresser de plus près aujourd’hui ?
Tentons une approche par la nécessaire décroissance des inégalités (précarité, pauvreté, exclusion, discriminations), parce que ni les êtres humains ni la nature ne sont des marchandises ; par celui du nécessaire (re)construire le « buen vivir », non pas au sens du « bien-être occidental », mais celui de vie bonne, de vie pleine, pour (re)faire société ; par celui de retrouver les nécessaires limites parce que nous vivons sur une planète aux ressources finies, le temps des limites est venu, voire déjà dépassé, puisque la planète nous donne des signes de ne plus pouvoir nous supporter comme l’écrit G.Azam dans son livre « Le temps du monde fini » ; parce que l’on ne peut plus séparer les êtres humains du reste du vivant, parce que nous faisons partie, en tant qu’êtres humains, des écosystèmes, sources de vie, au sein desquels nous vivons en interrelation
Nous « vivons » aujourd’hui dans une société éclatée (réduite à une somme d’individus qui vivent/survivent côte à côte, dans des cases qu’une infime minorité leur assigne, or en réalité sans collectif aucun individu ne peut évoluer, développer ses potentialités, s’émanciper individuellement et collectivement) ; violente (où chaque individu est soumis à une concurrence qui conduit à la guerre de chacun(e) contre chacun(e) et de tous contre la nature) et triste (où les mêmes individus se tournent vers une nouvelle divinité, celle de l’argent-roi, du toujours plus, pour le profit de cette minorité dont le seul objectif est l’accumulation
Parce que la croissance, le productivisme, sont érigés comme unique solution, au nom de la seule voie réaliste pour les tenants de cette idéologie, puisque depuis les années quatre-vingts on nous explique qu’il n’y a pas d’autre alternative (le fameux TINA de Reagan/Thatcher)
Solution portée par la consensuelle « bien pensance » des gouvernants, qui après avoir, à la même époque, remis les clés à ce 1 % via des super structures a-démocratiques comme le FMI, l’OMC, l’UE, la BM,… ne nous représentent plus (nous ont-ils représentés un jour ?) et sont à leur solde tout en s’auto proclamant décideurs, aidés dans leur tâche par les experts au service des mêmes qui ânonnent chaque jour la même ritournelle, dont le but suprême est de «rassurer les marchés »…
Croissance, productivisme sont dans les faits le carburant de cette machine folle où le « dieu économie », pourtant purement virtuel, est placé au-dessus de tout, machine folle qui exploite et aliène les êtres humains et détruit l’ensemble des écosystèmes
Parce que cette croyance dans la croissance est vantée par la publicité, via les médias biens pensants, les supports qui « ornent » nos villes et nos campagnes et aussi, et de façon plus sournoise, par les « nouvelles technologies ». Publicité qui nous abreuve de messages et finissent par rendre dépendant(e)s un grand nombre d’entre nous et que nous reproduisons…puisque c’est la seule voie !
Parce que cette croyance est elle-même relayée/entretenue/auto entretenue auprès de celles et ceux qui ne peuvent pas/plus payer ce qu’on leur fait briller dans cette frénésie du toujours plus … mais vont pouvoir tout de même « posséder » pour assouvir leurs frustrations … via le crédit, ce qui équivaut à se mettre la corde autour du cou et à la serrer d’un cran à chaque fois que l’un(e) d’entre nous y recourt.
Parce qu’aujourd’hui seul « l’avoir » aurait de l’importance jusqu’à définir … la position sociale (sans Rolex à cinquante ans, on est rien !) au détriment de « l’être », de l’indispensable, du poétique
Parce qu’aujourd’hui on ne répare plus, on jette, nous sommes entrés depuis des années dans la société du jetable via l’obsolescence programmée…pour faire tourner toujours plus vite cette machine folle que nous n’arrivons plus à contrôler, ce qui accentue encore notre impuissance, notre fatalisme, notre peur et notre asservissement
Parce qu’aujourd’hui on assiste à une apologie de la culture de la vitesse, de l’immédiateté au détriment du « prendre le temps » de réfléchir sur le sens de nos faits et gestes, sur le sens de nos vies, tel ce cycliste lancé sur la piste obligé de pédaler tête baissée pour éviter de tomber… sans même se poser la question du « pour quoi », « pour qui » il pédale !
Parce qu’à ces croyances du toujours plus, toujours plus vite,… s’ajoutent d’autres croyances, comme celle du progrès infini via le techno-scientisme, qui prétend, sans l’ombre d’un début de solution et minimise les conséquences bien concrètes sur la santé des êtres humains et de nos écosystèmes (retraitement des déchets nucléaires, capture du CO2,…), apporter une « solution » aux problèmes liés à cet « emballement débridé »…
Voire jusqu’au transhumanisme qui prétend faire reculer les limites de la vie jusqu’à rendre les êtres immortels !… quitte à greffer des prothèses sur ces « êtres » qui ne seraient plus que chimères génétiquement modifiées, des artéfacts pour reprendre une expression de Miguel Benasayag.
Mais aussi à une autre croyance qui prétendait pourtant combattre cette logique capitaliste mais dont la conception repose sur la même logique où la main invisible du marché est remplacée par une avant-garde éclairée et son « grand soir » qui allait renverser le mur au nom d’une non moins chimérique société d’abondance où le gâteau serait mieux partagé mais dont le couteau est tenu par une nomenklatura
Parce qu’il s’agit, et ce n’est pas la moindre des choses, de remettre en question notre mode de vie occidental, il faudrait plusieurs planètes pour que nous accédions toutes et tous à ce leurre du « bien être occidental », car il ne faut pas confondre pauvreté et misère culturelle et sociale.
Et, également, sortir de notre ethnocentrisme occidental, tant nos dettes sont lourdes,… et aucune culture n’est supérieure à l’Autre et ne peut dicter « sa loi » au monde entier, pour que vive le métissage, pour retrouver, ici, là-bas et ensemble notre dignité et faire vivre concrètement notre solidarité
Parce que, s’il s’agit sans aucun doute de mieux partager, ce partage doit être décidé par les 99% et surtout parce que nous devons changer radicalement de recette pour faire un autre met que celui adossé au PIB, au CAC 40, aux notes des agences de notation, et distribué selon les diktats des marchés ou autres avant-gardes éclairées
Ce met que le 1% nous dicte est non seulement indigeste mais délétère pour la santé physique et psychique des 99%
Pour le dire différemment la décroissance s’intéresse à la vie, à toutes les formes de vies (celle des êtres humains et du devenir des générations futures au travers de l’équilibre des écosystèmes) et à toutes les cultures pour croître en humanité…Tout simplement parce qu’il en va de l’ensemble du vivant
Parce que nous aimons avant tout la vie, le partage, la coopération sur un pied d’égalité, la non violence, la dignité, la sobriété joyeuse parce que le toujours plus n’est pas mieux, parce que ce sont les liens entre humains qui libèrent alors que les biens aliènent, brisons les murs et (re)construisons les ponts pour relier les êtres humains, pour accueillir/recueillir la parole et l’Autre comme un égal
Pour cela nous devons non seulement décroître mais également « dé croire » ou comme le dit Serge Latouche décoloniser notre/nos imaginaire(s), première pierre pour (re)faire société, pour faire par nous-mêmes, pour (re)construire ici, là-bas et maintenant des possibles:
(Ré) empruntons les chemins de l’éthique parce qu’il s’agit de sortir de cette logique de concurrence mortifère qui mène de crises en crises à une crise anthropologique et se traduit aujourd’hui par un effondrement social, environnemental, politique/démocratique et psychique pour reprendre les écrits de P.Ariès
Réinvestissons les chemins des utopies, au sens de ce qui n’a pas encore été essayé, ex(s)périmenté, parce qu’aujourd’hui paradoxalement seule l’utopie est réaliste. Allier/relier le prosaïque et le poétique comme l’ont si bien écrit les neufs intellectuels Antillais dans leur manifeste de début 2009
(Re) mettons l’économie à sa place, c’est la « ré encastrer » dans le Politique, c’est nous (ré) approprier nos affaires au quotidien, par et pour l’émancipation des 99% des êtres humains, parce que nous voulons décroître dans l’avoir pour (re) trouver l’essentiel et faire croître nos communs :
Rendre les libertés fondamentales et les droits fondamentaux effectifs, ici et là-bas, seule l’action des gens ordinaires pourra les faire (re)vivre en les sortant des parchemins poussiéreux tant ils sont aujourd’hui bafoués, voire détournés au profit d’une société répressive et de surveillance ici et le « droit d’ingérence » là-bas … à géométrie variable, où derrière ce droit que s’octroie le « monde libre occidental (cette liberté du libre renard dans le libre poulailler !) » se cachent contrats divers et variés, y compris les contrats d’armement et/ou puits de pétrole à « maitriser » pour le seul profit du 1 %
Parce qu’un toit c’est un droit, comme celui de se nourrir sainement, de vivre dignement de son travail/activité, de se maintenir en bonne santé, celui de se soigner selon « de chacun selon ses possibilités, à chacun selon ses besoins », celui d’aller à l’école, de se cultiver, celui d’avoir accès gratuitement à l’eau, aux transports, à l’énergie,… et aussi celui de se réunir, de débattre, de construire et de porter des possibles
Ralentir pour (re) prendre le temps de se « pauser », le temps d’aimer, le temps de rêver, de retrouver ainsi le temps de vivre, et de nous poser des questions notamment sur : « Produire pour qui ? », « Pour faire quoi ? », « Comment ? »
Sortir de la parcellisation des tâches (nous ne consommons plus ce que nous produisons, et nous ne produisons plus ce que nous consommons). « La redécouverte de l’œuvre constituerait un bon antidote à l’émiettement des tâches pour passer à une logique de coopération » (S. La touche), se référant à Marx : « la division du travail est l’assassinat du peuple ». Et réduire le temps gaspillé dans les transports, les besoins en énergie et les pollutions
Nous auto organiser au quotidien, sur nos lieux de vies (immeubles, quartiers, cité,…), et sur nos lieux de travail/d’activités, par la création de coopératives d’entre aide, voire de coopératives de production
Pour retrouver ainsi nos racines, nos « savoir faire », nos « savoir être », nos identités, sans repli identitaire mais au contraire avec le souci d’échanger et de s’enrichir humainement et mutuellement
Pour travailler moins, et nous libérer du temps contraint par une réduction drastique du temps du travail pour à terme sortir du salariat, pour (re)gagner notre libre arbitre sur et dans nos activités, parce qu’il faut du temps pour nous, du temps pour vivre réellement et aussi pour nous (ré) approprier nos affaires au quotidien c’est-à-dire retrouver notre autonomie et ainsi s’émanciper
Explorer les pistes du Revenu Inconditionnel d’Existence (dont le montant correspond aux besoins fondamentaux de base pour chacun(e) de la naissance à la mort pour vivre sobrement et dignement), que d’autres appellent Dotation Inconditionnelle d’Autonomie (dont une partie est versée sous forme de droits d’accès gratuits ou semi gratuits au logement, à l’eau, l’énergie, les transports), les deux étant couplés à un revenu maximal admissible.
(Re) localiser les échanges et échanger sur un pied d’égalité, et à chaque fois que possible sortir nos échanges des échanges marchands à travers la gratuité/le don selon le DONNER/RECEVOIR/RENDRE du M.A.U.S.S:
Par le troc à chaque fois que possible, et également par la mise en place de monnaie locale fondante (qui perd de la valeur lorsqu’elle ne circule pas) et ascendante (qui part de la base) pour que les 99 % se (ré) approprient l’usage de cette monnaie à fonction sociale, bien commun que nous devons maitriser pour échanger sans intérêt autre que celui de (re)faire société parce qu’elle est un instrument qui permet de (re) créer du lien entre gens ordinaires qui ne se côtoient plus dans la vie de tous les jours
(Re) penser l’habitat dans sa forme (mettre fin au mitage des zones pavillonnaires,…) par l’habitat groupé, l’habitat nomade, la mise à disposition de lieux communs par immeubles pour se réunir, effectuer des tâches communes
Et sur le fond par la fin de la propriété privée et de l’héritage (première source d’inégalités) pour passer auprincipe de l’usage, de l’entretien et de la restitution pour les générations suivantes
(Re) localiser les échanges encore par le développement de l’agriculture de proximité, biologique. Ce qui veut tout simplement dire : travailler, protéger, entretenir et rendre les sols en bon état pour les générations suivantes, que les paysans puissent vivre dignement de leur labeur et que celles et ceux qui doivent se nourrir aient accès à cette nourriture saine qui protégera aussi leur santé et celle des générations suivantes (il n’y a aucune raison que cette nourriture saine soit réservée aux bobos).
Mais aussi parce qu’ensemble nous exigerons que la semence ne soit pas une marchandise et qu’elle appartienne à celles et ceux qui travaillent et entretiennent la terre, parce qu’ensemble nous refuserons le recours aux différents intrants via la publicité mensongère et la pression des lobbies de l’agro business dont la nocivité porte atteinte à la santé des populations et aux sols.
Nous exigerons le respect des cultures vivrières ici et là-bas et refuserons le vol et l’accaparement des terres car ce sont des crimes contre l’humanité…
(Re) trouver le bon usage des choses et la gratuité (l’eau n’est pas une marchandise, la quantité nécessaire à celle des besoins vitaux, boire, se laver doit tendre vers la gratuité, alors que son mésusage via le remplissage d’une piscine sera très très chère !).
Parce que nous voulons en finir avec le nucléaire civil et militaire et toutes les dépenses faramineuses liées à l’industrie militaire et au marché des armes
Parce que au bout du bout, l’idée, l’utopie de la décroissance pose la question essentielle du sens de nos vies, de notre/nos façon(s) « d’être », notre/nos façon(s) « de faire » dans nos cheminements individuel et collectif
Elle s’invite à l’heure des choix à travers les débats contradictoires pour établir de nouvelles règles pour (re) faire société, pour (re)construire la démocratie réelle et maintenant avec nos différences ET où chacun(e) à sa place
Parce que lorsque la loi devient trop injuste, parce qu’elle est faite par et pour le 1%, nous (les 99%) devons désobéir individuellement, collectivement, professionnellement et institutionnellement
Nous ne voulons pas faire carrière en politique !, juste exercer notre libre arbitre et retrouver notre puissance d’agir. Nous voulons prendre les décisions après débats contradictoires grâce à l’expertise de nos contemporains, et comme nous ne pouvons pas tout savoir nous nous entourerons d’avis d’experts de sensibilités différentes que nous choisirons !, nous porterons ensemble les décisions et nous les soumettrons à ex(s)périmentations
La démocratie réelle ne s’arrête pas à « mettre un bulletin dans l’urne » lors de cirques électoraux que l’on nous autorise encore, ici, où la communication, le slogan, le « bon mot » remplace le véritable débat contradictoire
Elle n’est pas davantage séquentielle, tous les 5/6 ans, elle ne consiste pas à signer des chèques en blanc où les promesses n’engagent que celles et ceux qui veulent bien y croire, et elle ne conduit pas davantage à un repliement dans le chacun(e) chez soi, ni pour soi dans l’entre deux !
Elle est exigeante pour chacun(e) et pour tous et s’exerce au quotidien, y compris sur les lieux de travail/activité, par et pour les 99 %
Parce que nous voulons faire décroître l’uniformisation de ce monde et faire croître la diversité d’autres mondes que nous (re) construisons déjà ici, là-bas et maintenant, même partiellement.
Nous devons sortir des schémas pré établis, sans faire table rase du passé et en apprenant de nos erreurs, sortir de la logique du contre car même anti nous restons encore dans la même logique chère à tous les « ismes » puisqu’ils s’appuient sur cette même logique dont le carburant est la croissance, le productivisme, alors qu’ils sont aujourd’hui non pas la solution mais bel et bien le problème (J.Gadrey dans son livre « Adieu à la croissance »)
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(Re) pensons nos paradigmes, (re) pensons la complexité, pour un changement radical (à la racine)
Le (re) doit être pris dans le sens de ne pas refaire à l’identique, mais autre chose et autrement, parce que résister c’est créer et c’est joyeux
Agissons au quotidien à partir de ce qui nous affecte à la base de façon à (re) construire notre maison commune en commençant par … les fondations c’est-à-dire par (re) tisser les liens, décloisonner, relier les êtres humains et ne plus attendre des lendemains qui chantent, trop souvent suivis de petits matins blêmes
Refusons de croire en la mythique prise du palais d’hiver parce que, sans irruption de nos contemporains, toute prise de pouvoir est à la fois illusoire, voire dangereuse, plus sûrement les deux, et parce que nous ne confondons pas pouvoir (qui est de faire faire) et puissance d’agir qui est de faire par nous-mêmes
Retrouvons la confiance en chacun(e) de nous, libérerons nos potentialités, faisons croître notre intelligence collective et notre puissance d’agir face aux logiques de pouvoir, du chef, du fétichisme d’objets, de toutes les divinités pour forger à nouveau notre devenir collectif, devenons chacun(e) et collectivement acteur/auteur de nos vies.
(Ré) interrogeons ces mots du mouvement des Tupamaros dans les années soixante : « Les paroles nous divisent, les actes nous réunissent » et précisons bien le sens du « nous (ré) unissent » ce qui n’est pas la même chose que cette mythique union derrière laquelle certain(e)s courent depuis des lustres… pourvue qu’elle se fasse derrière leur panache blanc, cela va de soi, et qui conduirait… à l’uniformité, donc à la mort
Il n’y a pas une alternative mais une multitude d’alternatives dont aucune n’est prépondérante, ni par conséquent d’autres subalternes… A partir de « ce n’est pas ta solution, ce n’est pas davantage la mienne » mais ensemble discutons sur un pied d’égalité pour trouver un point d’équilibre que nous mettrons ensemble à nouveau en ex(s)périmentation… Bref privilégions à chaque occasion le ET qui inclut au OU qui exclue !
Parce que la démocratie est fragile, sans cesse en danger, toujours en devenir, elle doit être l’affaire des 99%, nous la ferons vivre dans le cadre d’un mouvement par essence jamais fini. Puisquenous ne sommes que de passage, soyons des passeurs/ses
Notre émancipation, individuelle et collective, en est le point d’appui et le levier. L’égalité son principe
« Il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant » (A.Machado)
Je me reconnais beaucoup, voire totalement dans le diagnostic et les propositions que vous faites dans ce texte. Tout est juste dans ce que vous dites. Par contre le concept de décroissance que ce texte est sensé éclairer me gène beaucoup. En effet, nombre de ceux qui se revendiquent de la décroissance n’ont pas un discours aussi élaboré et juste que le vôtre. Ils ont au contraire fait de ce concept une idéologie radicale pour lutter contre le modèle capitaliste avec lequel ils sont en guerre. J’utilise le terme « idéologie » à dessein, car pour moi une idéologie apporte les questions en même temps que les réponses … voire parfois les réponses avant les questions. Pour eux, au-delà de votre posture de bon sens et votre discours tout en nuance, la décroissance renvoie une posture idéologique, avec tout son cortège d’anathèmes, qui ouvre à certains possibles et en ferme automatiquement d’autre. Difficile dans ce cas-là d’être dans le « et » inclusif dont vous défendez, tout comme moi, la nécessité. Une bonne part des décroissants ont des positions militantes de « ou » excluantes. Il n’y a qu’à discuter avec les tenants de cette mouvance les plus engagés pour s’en convaincre. Nombre d’entre eux sont par exemple technophobes et ne jurent que par le retour aux équilibres passés avec les renoncements technologiques associés … impossible à remettre en place sauf dans le cadre d’un régime liberticide.
En effet, selon les lois de la systémique, notre monde évolue selon des principes systémiques. L’un d’entre eux est le principe dialogique grâce auquel un système va maintenir son équilibre de façon dynamique en créant toujours plus de complexité (voir sur ce sujet les travaux d’E. Morin pour qui tout principe s’équilibre par son contraire). Tout retour en arrière est une involution dont les conséquences systémiques sont difficiles à prévoir et encore plus à piloter … même quand sur le papier les choses peuvent sembler évidentes. Rien n’évolue de façon linéaire …. car les principes dialogiques sont aussi les mécanismes à la base des émergences qui jalonnent l’histoire de l’évolution. Pour mémoire une émergence est quelque chose impossible à prévoir à partir des projections linéaires auxquelles nous condamne notre raison close. Une décroissance tournée vers la restauration d’équilibres passés, si on arrivait à l’imposer, ne nous mettrait donc nullement à l’abri de ce que l’on souhaite éviter. Il est de loin préférable de poursuivre notre marche en avant en la tournant vers la construction d’un nouveau contrat socio-environnemental en s’appuyant de façon raisonnée sur le progrès et notre fabuleuse intelligence collective. Je gage que l’humanité possède aujourd’hui les ressources collectives (compétences, savoirs, infrastructures, technologies, capacités d’initiative, …) pour sortir de l’impasse dans laquelle elle s’est enfermée … Mais ces ressources ne seront pas mobilisées en dehors de la mise en place d’un cadre favorable au développement de notre intelligence collective dont le désir sera une composante essentielle.
Personnellement, pour ces raisons et d’autres qu’il serait trop long de développer, je me reconnais plus volontier dans mouvance de la croissance régénérative, dont Isabelle Delannoy est actuellement l’une des figures majeures (voir son livre « l’économie symbiotique »). Cette utopie, car ça en est bien sûr une, me convient bien mieux, car elle me semble plus réaliste, plus en accord avec mes convictions, mon expérience (dont ma pratique de la conduite du changement participe) et renvoie à un futur bien plus désirable que celui de la décroissance (dans le chemin proposé par la croissance régénérative, l’homme devient le catalyseur de la régénération des écosystèmes sociaux et environnementaux). Ainsi, autant il me semble intéressant de contribuer à régénérer ma planète au travers d’une activité et un mode de vie plus responsable, autant le fait diminuer mon impact sur la planète en menant une vie plus frugale ne me fait pas rêver. En effet la croissance régénérative propose en creux de réconcilier l’économique, le social et l’environnemental en mettant l’économie au service des deux secondes quand la décroissance invite implicitement à réformer l’économie pour la mettre en conformité avec les exigences du social et l’environnemental. Ce faisant, les décroissants tombent dans le même travers logique de Malthus lorsqu’il alertait sur l’incapacité de la terre à nourrir les hommes au-delà d’un certain seuil de population. Ils font fi des modifications des modes de production (croissance endogène) qui peuvent permettre de modifier la nature et la productivité des ressources. D’un côté on s’arrange pour répartir le plus équitablement possible un capital, d’un autre on cherche à faire la même chose en cherchant (aussi) à le faire fructifier. La seconde posture est sans conteste la plus juste, car dans tout processus d’évolution aucun des éléments du problème n’est figé. Ils vont au contraire évoluer de façon dynamique avec l’ensemble des autres aspects avec lesquels ils sont en interaction : les sphères économiques, sociales, environnementales interagissent et évoluent de concert au fur et à mesure du chemin en ouvrant de nouvelles portes et en en fermant d’autres.
Pour que ça marche, il est nécessaire de mobiliser tout le monde autour d’un récit, d’un idéal désirable (dont les termes et les contours précis sont encore à inventer) au sein duquel chacun pourra trouver sa place … y compris ceux (souvent) désignés aujourd’hui comme les ennemis à abattre. On n’avancera efficacement sur ce chemin escarpé que si on sort des logiques d’opposition pour unir nos forces et inventer tous ensemble des modalités adaptées aux enjeux de la transition. Dans ce cadre, un travail pédagogique autour du concept de décroissance, ou celui de la « sobriété heureuse » porté par P. Rabhi (à mon sens plus positif), peut aussi être très utile pour faire avancer les consciences et explorer des solutions alternatives.
Jean Pascal Derumier
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